Depuis la loi Malraux, le mécanisme de la dation en paiement permet d’utiliser des œuvres d’art pour le règlement des droits de mutation à titre gratuit. S’il a permis d’enrichir les collections publiques, son usage est strictement encadré.
Le paiement de l’impôt en nature était courant sous l’Ancien Régime : les paysans étaient «taillables et corvéables à merci», tandis que la noblesse versait l’impôt du sang. La Révolution française a fait table rase du passé. Désormais, les citoyens doivent s’acquitter de leurs impôts en espèces sonnantes et trébuchantes. Une exception, toutefois, est réapparue dans notre droit positif à la fin des années 1960. La loi du 31 décembre 1968, dite loi Malraux, a fait ressurgir dans notre droit positif un mode exceptionnel de paiement de l’impôt : le contribuable peut s’acquitter des droits de succession ou de donation dont il est redevable en remettant des œuvres d’art aux pouvoirs publics, sous réserve de leur agrément. Ce faisant, cette loi a permis à l’État français d’enrichir considérablement ses collections à l’occasion des successions d’artistes célèbres tels que Picasso, Giacometti, Cézanne, Chagall ou encore Matisse. La dation en paiement n’est pas de droit. Elle suppose un échange de consentements entre le contribuable et les pouvoirs publics, et elle n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés en pratique. La qualité artistique ou culturelle du bien proposé n’est pas une condition suffisante pour que la dation soit acceptée. En effet, si les collections publiques comprennent déjà un nombre suffisant d’œuvres sur le même thème, l’État peut refuser une dation, qui, prise individuellement, s’avèrerait indiscutablement d’une haute valeur artistique ou historique. L’acceptation de la dation n’est donc pas automatique. Un échange de consentements La dation en paiement ne peut être proposée qu’une fois la transmission intervenue, lorsque les droits de mutation à titre gratuit sont exigibles. Elle ne peut donc pas être mise en œuvre pour anticiper des dettes fiscales à venir, qui ne sont certaines, ni dans leur principe ni dans leur montant. La dation est subordonnée à l’octroi d’un agrément donné dans les conditions édictées par les articles 384 A à 384 A ter de l’annexe II du Code général des impôts. En pratique, des parents redoutant le refus d’agrément pourraient être tentés de donner à leurs enfants, sous la condition suspensive de l’acceptation par l’autorité publique de la dation proposée, en paiement des droits de mutation à titre gratuit. Cela n’est pas possible. En effet, tant que la condition suspensive est pendante, les droits ne sont pas exigibles : l’offre de dation ne peut donc pas être déposée. Pour sécuriser le redevable, la signature de la donation à ses enfants sous condition résolutoire du refus d’agrément par les pouvoirs publics aurait pu être envisagée. Mais les droits d’enregistrement ne sont restituables que si l’annulation ou la résolution de l’acte résulte d’une décision de justice. Or, le refus d’agrément, le cas échéant, émanera de l’administration et non d’un juge. Par conséquent, les droits de donation resteraient dus par le redevable, même en cas de refus d’agrément. Le contribuable ne peut pas assortir son offre de dation de conditions particulières. Il ne peut pas, par exemple, exiger de conserver la jouissance des biens offerts ou que l’œuvre soit exposée dans tel ou tel musée. Les citoyens ne peuvent décider de l’affectation des sommes qu’ils versent à l’État. Il en est de même des biens offerts en paiement de l’impôt. La dation reste un moyen de règlement de celui-ci et se différencie en cela d’une donation que le contribuable ferait à l’État, sous certaines conditions. Si l’agrément est accordé, la décision fixe la valeur libératoire qu’elle reconnaît aux biens offerts en paiement. Mais la dation en paiement n’est parfaite que par l’acceptation de l’intéressé de la valeur retenue par l’administration fiscale. Le redevable conserve toujours la possibilité de renoncer, sans être tenu de se justifier. Quelques difficultés rencontrées en pratique Il n’est pas possible de préjuger de l’avis des pouvoirs publics. Le redevable doit être bien conscient qu’en cas de refus de la part de l’État, le bien offert en dation sera assujetti aux droits de succession selon la valeur libératoire proposée dans l’offre de dation. Il est donc très important pour le contribuable de s’entourer d’experts pour apprécier la qualité artistique ou historique de l’œuvre qui sera proposée à l’administration fiscale. Il sera particulièrement opportun de se rapprocher de plusieurs conservateurs de musée afin de mesurer l’attrait que l’œuvre pourra susciter auprès des pouvoirs publics. Par ailleurs, il arrive parfois, dans les successions d’artistes ou de collectionneurs, que tous les tableaux n’aient pas été forcément déclarés ou que les œuvres reçues du vivant de l’artiste, sous la forme de dons manuels non déclarés, n’aient jamais été révélées à l’administration fiscale. Ce sont souvent des situations anciennes. Les droits de succession non réglés peuvent ne jamais avoir été acquittés du fait de la prescription fiscale. Or, le contribuable pour justifier de sa propriété, doit préciser à l’administration la nature et la date de la transmission, ainsi que les références relatives à la perception des droits de mutation. La doctrine administrative considère que le bénéfice de l’agrément ne peut être accordé aux contribuables n’ayant pas satisfait à leurs obligations fiscales ou convaincus depuis une époque récente, de fraudes fiscales caractérisées. A contrario, cela signifie-t-il que le contribuable coupable de fraudes fiscales anciennes serait éligible à la dation en paiement ? Que faut-il entendre par une «période récente» ? Deux ans, cinq ans, dix ans ? La doctrine administrative mériterait d’être précisée pour sécuriser le recours au mécanisme de la dation en paiement. L’omission de tableaux dans une déclaration de succession, ou la non-révélation de dons manuels lors du décès du donateur, constituent assurément un non-respect des obligations fiscales.
コメント